mercredi 3 juin 2020

UNE ENCYCLOPÉDIE DE LA MER : MOBY DICK


Le petit garçon avait abandonné le livre au bout de quelques chapitres. L’ennui d’un empilement de connaissances ne servant qu’à faire retarder l’action avait eu raison de lui. Pourtant l’ouvrage se recommandait de toutes les caractéristiques de la « littérature de jeunesse » …


Mais le livre n’était pas à mettre dans toutes les mains, manifestement. Il déborde toutes les attentes. Il fallait attendre le bon moment.
La surprise fut d’y trouver ce qui concerne chacun. Elle fut de découvrir que l’on pouvait y prendre un immense plaisir sans être spécialement attiré par la chasse à la baleine. C’est pourtant bien le sujet, abondamment traité. Mais ce traitement approfondi, qui ne nous épargne aucun détail technique, scientifique, mythologique sur son objet, est déjà ce qui le rend intéressant. L’approfondissement d’un coin de l’univers, la lutte du langage pour le faire rendre sa vérité, quand cette lutte est suffisamment tenace, le rendra non seulement intéressant, mais captivant, de première importance, C’est que tout est dans tout. Pour dire le tout, il faut bien commencer par un bout. Ce bout, pour Melville, c’est la baleine. Elle nous donne la clé d’une anthropologie, d’une histoire de l’humanité, d’une philosophie. Je ne suis pas si persuadé qu’il s’agisse d’un roman « allégorique ». C’est aller un peu vite en besogne. Il s’agit d’une immense récapitulation saisie en un moment crucial de l’histoire humaine. Et c’est aussi une poétique.
Comment Melville parvient-il à captiver son lecteur pour un sujet qui lui est a priori indifférent ? La pêche à la baleine des Frères Jacques me paraissait suffire sur la question…
Il prend simplement la chose au sérieux. Il creuse son sujet. Il le révèle. L’écrivain permet au lecteur de dépasser l’idée première. Il ouvre ses yeux, découvre tout un monde. Il adopte le parti-pris des choses.
Dans une activité comme la pêche, il montre que tout est lié : le Péquod fait le tour de la terre. C’est une sorte d’arche de Noé lancée vers un but. Les hommes n’y sont pas tant des personnages à la subtile psychologie que des travailleurs, dont chacun a sa fonction bien précise : le récit tourne autour de l’action, la chasse, la capture, mais aussi le dépeçage, le conditionnement, le transport.
Le sujet perd de sa gratuité quand on aperçoit que la pêche à la baleine dit un moment de l’histoire du monde : la recherche des ressources. Il n’y avait pas encore de pétrole, mais déjà de l’huile de baleine, qui permettait entre autres de s’éclairer. Le carnage est motivé par le besoin d’énergie. Cela nous rappelle quelque chose. Nous sommes sur le seuil : la pêche s’effectue encore de façon romantique, « équitable », sur des bateaux à voile. Mais ces bateaux sont déjà des usines, ils sont entièrement ordonnés à la transformation de la graisse de baleine en huile, et la description de cette usine flottante tient pour beaucoup dans la fascination du livre. Nos aventuriers sillonnent les océans pour accumuler de l’énergie : nous sommes à le veille de la révolution énergétique du pétrole. La visée est le pouvoir démultiplié par l’exploitation des ressources naturelles. La technique et les savoirs faire artisanaux, si amoureusement décrits dans le récit, sont mobilisés en vue de cette fin unique. Le roman nous prévient pourtant, par toutes ses voix poétiques, mythologiques, bibliques, philosophiques : cette poursuite est un leurre, pire : une malédiction, un hybris sans pareil. Un monde entier s’écroule, s’effondre, coule et disparaît dans la quête de ce mauvais but.
Le récit de la poursuite de Moby Dick occupe une place modeste dans la masse de ce texte océanique. On attend pendant un tiers du livre pour apprendre l’existence de cette baleine hors du commun. Puis on l’oublie un peu tout en la recherchant en vain, le baleinier fait son travail : il tue et conditionne des baleines. Au passage, rien ne nous est épargné des spécificités de ces animaux, ni des bateaux qui les poursuivent, ni des pratiques de chasse et de traitement. Moby Dick est truffé de Boucliers d’Achille. Melville a retenu la leçon : pour qu’une description soit supportable, il faut qu’elle aille au bout du phénomène, qu’elle soit exhaustive et plus encore, qu’elle épuise le dicible dans un combat improbable, mené à armes inégales. Alors elle devient une bénédiction du récit. Ainsi la description de la gare d’Anvers au début de l’Austerlitz de Sebald. Mais il n’y a pas que la description, il y a l’explication : le narrateur, Ismaël, introduit le lecteur dans les us et coutume de la mer. Il déborde souvent de son propos pour de longues dissertations au cours desquelles il récapitule l’histoire de la pêche et de ses techniques, le savoir naturaliste, halieutique, zoologique. Il y mêle des méditations, des avertissements, des réflexions, des sermons : tous les registres du langage sont convoqués. Cette insistance, cette diversité de moyens, cette reprise incessante de son objet immense, qui pourrait lasser, rebuter, décourager, fait la grandeur de l’ouvrage, qui est un corps à corps avec l’expression. Que peut le langage pour dire le monde ? pour dire à tout le moins ce gros monstre aux apparitions intermittentes ? Ne doit-il pas reconstituer l’ensemble des coordonnées humaines, historiques, mythologiques et religieuses de cette aventure pour espérer cerner cet objet insaisissable ? Il est alors obligé de parler de tout, parce que cette baleine est aussi l’annonce du monde futur de la mondialisation qui nous est devenu plus familier. Le roman pressent, anticipe, devance tout cela. La monstruosité prêtée au mammifère marin est d’abord celle de l’entreprise humaine qui la conduit hors d’elle.
Le langage : Melville est un formidable conteur. À travers Ismaël, dont on peut douter qu’il assume tous les aspects du récit, il peut parler de tout avec une verve jamais prise à défaut. Il y a le langage populaire des marins, l’immédiateté d’un rapport, des relations peu bavardes, faites de retenue et de contrôle, car la civilisation du navire oblige à se supporter mutuellement et pose d’emblée des règles strictes aux comportements des uns et des autres. Il muselle leur langage aussi bien. Seul Achab, dans sa position souveraine, peut s’adonner à sa folie particulière.
Il y a la poésie qui rapproche des réalités distantes, ou qui simplement fait voir ce que nous avons sous les yeux, non pas paresseusement, d’une image convenue et trop vite expédiée, mais avec la précision d’une expérience visuelle partagée : ainsi des marins juchés sur les haubans qui semblent soudain être des gamins montés sur l’arbre et grappillant des cerises. Poésie toute visuelle et immédiatement sensible. Les registres culturels qui donnent des ailes à la tentative de déployer le réel, de déplier les strates de signification et de sensation qu’il porte, sont apparemment convenus : répertoire classique de la mythologie d’un côté, références bibliques de l’autre. Le jeu subtil entre ces deux codes, la précision de leur convocation, crée aussitôt un double-fond, une sorte de calle poétique seconde qui permet au texte de thésauriser le passé de la poésie humaine. La verve est souvent audacieuse, les images risquées, les comparaisons inattendues, mais tout risque de cliché est submergé par la puissance de l’élan de l’imagination. C’est que Melville possède une véritable poétique, il a ses registrer et sait en user. Les résurgences bibliques qui traversent le texte ne sont pas des bouées de sauvetage d’une pauvre imagination à la dérive, mais des éléments d’un langage qui s’assure en chaque chapitre de sa consistance souveraine.
Mythologie, Bible, mais aussi la philosophie, parfois de façon cocasse, inattendue, mais produisant plutôt l’impression d’incongruité, avec une beauté poétique propre, que la crainte du pédantisme. Ainsi, quand le Péquod tient en équilibre une tête de cachalot sur un flanc, une tête de Vraie-baleine sur l’autre, c’est comme si le stoïcisme compensait un platonisme qui aurait lu Spinoza… Les méditations philosophiques qui constellent le récit ne passent nullement par la discussion érudite, mais prennent à bras-le-corps les grandes questions suggérées par la navigation erratique. Elles sont aussitôt compensées par la minutie des expositions techniques et scientifiques qui récapitulent le vocabulaire de la mer et de la pêche, explicitant le projet encyclopédique, résolument moderne, du roman atypique. N’ouvre-t-il pas la série des romans du XXe siècle qui intègrent une matière théorique à leur masse ? Ce faisant, il donne libre cours à la poésie des noms du métier, des pratiques éprouvées par un long usage, rêvant aussi sur les lexiques, comme fera Pedrag Matvejevitch dans son Bréviaire méditerranéen.
En croisant ces voix, Melville constitue un langage qu’on peut sans excès qualifier d’épique. Il engage un monde entier, notre monde, jusqu’au bout de sa propre logique. Ce n’est pas moins une Iliade qu’une Odyssée, et davantage même, car deux mondes sont en présence, une humanité passée et son propre démon, qui la conduira à sa perte. Le moment du récit est celui de la crise. La distance d’avec tout modèle est suffisamment maîtrisée : c’est au cours du récit déferlant que le narrateur emploie la formule consacrée « je chante… », sans invoquer de Muse, quelle Muse ? Pas avant, surtout pas au début, où nous sommes d’abord accueillis et pris en main par Ismaël, qui nous introduit dans le monde étonnant des marins pêcheurs. Mais on retrouve par moment émerger des océans de la prose les formes familières de l’épopée : il suffit qu’Achab se fasse forger un harpon pour que l’on aperçoive subliminalement les armes d’Achille.
L’empilement des registres poétiques ne constitue pas un arsenal de ressources topiques, mais donne à l’œuvre une temporalité multidimensionnelle (on rencontre ce jeu des époques géologiques de la rêverie dans le moindre paragraphe de Proust). L’histoire naturelle de la terre est rappelée, ainsi que les âges mythologique, théologique et philosophique qui se sont déposés dans l’histoire humaine, laquelle est présente par le rappel d’événements précis. La poétique est ainsi temporalisée à l’échelle collective de l’humanité. Les époques s’entr’expriment et convergent dans une méditation sur la destinée de la civilisation, frêle esquif sur l’océan, mais aussi rationalité obsédée de meurtre. Ce monde est condamné. Pourtant tout recommencera. Nous sommes avertis. Ismaël est le seul rescapé : puissions-nous écouter son histoire !




lundi 20 avril 2020

PAUL CELAN, CINQUANTE ANS APRÈS: CORONA




P. Celan, cc



Corona

L’automne me mange sa feuille dans la main : nous sommes amis,
Nous épluchons le temps des noix et lui apprenons à partir :
Le temps retourne dans la coque.

Au miroir c’est dimanche,
Dans le rêve on dort,
La bouche dit vrai.

Mon œil descend au sexe de la bien aimée :
Nous nous regardons,
Nous nous disons l’obscur,
Nous nous aimons comme le pavot et la mémoire,
Nous dormons comme le vin dans les conques,
Comme la mer dans le rayon sanglant de la lune.

Nous nous tenons enlacés à la fenêtre, ils nous voient de la rue :
Il est temps qu’on le sache !
Il est temps que la pierre se mette à fleurir,
Que l’inquiétude batte un cœur.
Il est temps qu’il soit temps.

Il est temps.






Paul Celan, GW I, 37.

(traduction DT)

mardi 7 avril 2020

La Peste et le Corona (fin)


Non moins que l’envahissement sournois de l’épidémie qui suscite d’abord une incrédulité générale, le sujet du roman de Camus est la sortie de cet état d’auto-contrainte, de crise et de remise en question général que matérialise l’enfermement. Est-ce que tout doit reprendre son cours « comme avant » ? Ou bien n’est-ce pas la possibilité de se reprendre et d’intervenir précisément sur le cours des choses et de l’organisation de la vie humaine qui se présente ici ? Ces questions sont au centre du roman paru en 1947.
Que faire de la Résistance et de la victoire ? comment garder l’expérience d’un autre regard (moins égoïste ?) que les circonstances ont rendu possible, permettant à des aspects négligés en temps de paix, où chacun suit son quant-à-soi, de se déployer ? Ce sont les questions du journaliste de Combat, ce sont les inquiétudes du Résistant[1]. C’est qu’une fois la guerre passée, une fois le danger écarté, chacun n’a rien de plus pressé à faire que de l’oublier, de « repartir à zéro » (1449).
Qu’est-ce à dire ? il y a bien deux façons de l’entendre. Ce peut être, en effet, faire table rase, oublier ce qui est advenu, et éventuellement faire comme si cela n’était pas advenu, retrouver donc ses habitudes, une fois le mauvais rêve dissipé. Un des moyens est d’ériger un monument officiel « aux morts de la peste » (1473). On se réunit, on fait des « discours » et … l’on va « casser la croûte ». Et voilà !
Mais ce peut être aussi « recommencer » au fort que suggère Camus, à savoir reprendre sur d’autres fondements et au plus près des principes essentiels qui se sont dévoilés pendant l’épreuve. C’est la raison d’être du roman qu’il expose à la toute fin, alors que son narrateur contemple depuis la terrasse qui surplombe la ville le commencement des festivités et les premiers feux d’artifice sur le port. En contemplant ces « gerbes multicolores », Rieux décide d’écrire « pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser au moins un souvenir de l’injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire simplement ce qu’on apprend au milieu des fléaux, qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. » (1473).
Le roman se donne comme un acte. Faire la chronique de ce qui a eu lieu, c’est d’abord témoigner, remémorer les actes et les situations. Depuis une telle récapitulation qui maintient la tension et la déchirure, une expérience collective traumatisante peut donner la possibilité d’un recommencement. On voit que Camus est déjà perplexe quant à la profondeur de celui-ci[2].


Combat, 10 mai 1947 (Gallica)

La peste nous parle-t-elle en nos temps de Corona ? Sans doute, mais pas forcément pour ce que le récit fait passer de l’épidémie, pas forcément pour la similitude des motifs ou les parallélisme manifestes. Le livre échappe à son objet pour avoir d’emblée été dans le décalage entre l’idée générale et la diversité des situations qu’elle pouvait évoquer. La rigueur de l’écriture et le maintien d’une certaine abstraction (qui a pour inconvénient sans doute que l’on ne parvient guère à s’attacher vraiment aux personnages) l’ont libéré de tout ancrage référentiel trop réaliste.
Conçu avant la Guerre (à laquelle Camus a pris sa part) dès 1938-39, le roman suit son cours autonome tout en réagissant et en commentant les événements qui ont lieu. Il reçoit en quelque sorte un contenu de l’expérience de l’Occupation et de la Résistance, tout en permettant de les commenter à distance. À la Libération, il permet de poser, grâce à son approche indirecte, les questions brulantes de l’après. En tant que chronique et témoignage, il se dresse en faux contre les tentations d’un oubli de ce qui a eu lieu, qui serait un double oubli : celui des valeurs morales de solidarité apparues au cours des années noires chez les résistants, mais non moins celui des crimes, qui comportent de l’impardonnable. La composition ouverte du projet rendait possible ce va et vient : « Il y a un plan que les circonstances d’une part, l’exécution d’autre part, modifient ». L’écriture s’efforce de mettre de l’ordre dans des fragments épars, travail d’autant plus pénible, confiait-il, « que mon anarchie profonde est démesurée. » (1935)
C’est peut-être ce qui sauve le tout. Le désordre dans la composition rendait le projet ouvert à la contingence. Malgré le risque, ce n’est pas un roman à thèse. En même temps, la sobriété de l’écriture préserve sa lisibilité. Le texte est ainsi doté de sa propre puissance interprétative. S’il peut donner une lecture oblique des événements contemporains de son écriture, sans leur être ordonné ; il peut aussi interpréter ce qui n’a pas encore lieu et même ce qui paraît échapper à sa perception romanesque, comme la situation coloniale. On a vu que le journaliste Camus est au fait des enjeux essentiels (et aveuglé par ailleurs quant à bien des aspects) alors que le roman semble ignorer tranquillement ce contexte. Mais en l’ignorant si manifestement, rien ne dit qu’il ne permette pas de s’y affronter, ni que sa leçon de solidarité ne puisse être reçue de ceux qui n’apparaissent pas en lui et paraissent oubliés. Si le roman a gagné son pari d’universalité, il ne peut en aller autrement.
Nos contemporains sont-ils prêts à leur tour à se laisser interpréter par un tel roman ? Et dans ce cas, que leur dirait-il ?
Un gain immédiat est qu’il permet d’objectiver, en les anticipant, les réactions collectives : la peur, l’espoir, l’impatience, le découragement. Il dit particulièrement bien l’incrédulité d’une part, la solidité des habitudes, l’être dans le confort qui n’a plus la capacité d’imaginer que les choses pourraient en aller autrement. Il prévient d’autre part les recours farfelus de la crédulité. Il trouve les mots pour décrire la fréquentation quotidienne du drame et le malaise d’une catastrophe qui se traduit par des informations chiffrées, des graphiques à interpréter, et des cadavres qu’on va enterrer à la sauvette.
Il sait dire la séparation et l’exil qui résultent de l’enfermement. Sans doute cette dimension est-elle à même de nous parler plus fortement encore, nous qui nous sommes peu à peu habités à considérer les déplacements comme une dimension essentielle de notre mode de vie. Le blocus de la ville donne ici à penser.
Mais c’est sans doute dans l’attention à la permanence de la peste après qu’elle a passé que le texte de Camus est porteur d’un « message ». La fin de l’épidémie ne peut signifier un retour à la « normale » si l’épidémie a pu avoir prise sur une société affaiblie, d’emblée prise de cette fatigue morale comme ces Français « fatigués d’avance en 1940 »[3].
Et si l’effondrement des économies, la bravoure des soignants, la conscience retrouvés de « nos concitoyens », la révolte contre les hypocrisies des discours officiels, l’indignation contre leur teneur bonapartiste, la disposition soudain d’un temps d’abord vide et inquiétant, hors rythme, n’étaient pas l’occasion de … recommencer autrement ?



[1] Actuelles I donne en quelque sorte un commentaire par anticipation de La peste. Voir A. Camus, Essais, édités par R. Quilliot, Paris, Gallimard, Pléiade, 1965 (cité Essais).
[2] Voir l’article de Combat paru le 10 mai 1947, intitulé « La contagion » dont il est opportun de citer quelques passages : « Il n’est pas douteux que la France soit un pays beaucoup moins raciste que tous ceux qu’il m’a été donné de voir. C’est pour cela qu’il est impossible d’accepter sans révolte les signes qui apparaissent, cà et là, de cette maladie stupide et criminelle. [suivent quelques exemples]. Oui, ce sont là des signes. Mais il y a pire. On a utilisé en Algérie, il y a un an, les méthodes de la répression collective [il fait allusion aux massacres de Sétif de mai 1945]. Trois ans après avoir éprouvé les effets d’une politique de terreur, des Français enregistrent ces nouvelles avec l’indifférence des gens qui en ont trop vu. Pourtant, le fait est là, clair et hideux comme la vérité : nous faisons, dans ces cas-là, ce que nous avons reproché aux Allemands de faire. […] C’est pourquoi il est nécessaire de dire clairement que ces signes, spectaculaires ou non, de racisme révèlent ce qu’il y a de plus abject et de plus insensé dans le cœur des hommes. Et c’est seulement quand nous en aurons triomphé que nous garderons le droit difficile de dénoncer, partout où il se trouve, l’esprit de tyrannie et de violence » (Essais, 321-323).
[3] Article de Combat, 29 octobre 1944, dans Essais (278).