Un rameur a
baissé les bras et laisse tremper ses avirons dans l’eau plate de la Darsena. Les
anciens docks du port ont été réhabilités en promenade, assortie d’habitations
de prestige, de terrasses de restaurants. Plus loin s’étend le port dont on ne perçoit
que les éminences, les grues et les phares. Des arbres d’un parc séparent les
promeneurs de la vue du fleuve et de la mer. Le dimanche, des coureurs
décrassent leurs articulations. D’autres promènent des chiens.
L’impression de
désorientation est complète. Une ville européenne, parfaitement géométrique,
fichée en ces terres lointaines. La fausse familiarité de ces trottoirs
fréquentés, qui donnent l’impression du centre ville, de la city où l’on se
presse. Alors que peut être on ne se met ensemble en ces rues passantes que
pour résister à l’immensité des espaces qui nous entourent et constituer une
sorte de forteresse humaine, impuissante cependant contre la mélancolie qui
terrasse les piétons.
Et cette ville si
familière, aux dimensions parfois titanesques de Champs-Elysées démultipliés, a
bien des airs de Paris, ou de ville de province tirée de la IIIe République, ou
de Bucarest, pour démesure qui parfois l’a emportée, ou de plusieurs endroits
où l’on a pu passer dans une autre vie, mais dont la familiarité est trompeuse.
Des troncs tortueux d’arbres américains sans âge viennent le rappeler dans les
parcs.
Le pays dont la
consonance indique les rêves qu’il portait pour les premiers arrivants a-t-il
pu se muer en patrie véritable ? Malgré la succession de régimes martiaux
et de rodomontades, de journées du drapeau et de passion très latine pour la
nation, il n’est pas certain que cela ait vraiment pris. On est venu, il y a
bien longtemps, et parfois l’on doit aussi repartir, tant ingrate est par
moment cette terre lointaine. On se sent isolé et comme abandonné des grandes
routes qui parcourent le monde. Et de cet oubli sourd une tristesse de fond qui
saisit le visiteur.
Les crises successives
après les espoirs de redressement et la fierté de compter soudain font que
parfois l’on baisse les bras et qu’on renonce à tracter ces avirons sisyphéens.
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