Au carrefour des rues les
plus centrales de Berlin, la Friedrichstrasse et la Leipzigerstrasse, se trouve
depuis quelques années le centre franco-allemand de recherche en sciences
sociales créé sous le patronyme de l’historien Marc Bloch.
Il partage les locaux
flambant neufs de l’ensemble immobilier « Stadtquartier », soit « quartier
urbain », entre autres avec le Ministère allemand de la Justice, l’institut
d’histoire de l’Université Humboldt et un prestataire de bureaux, Regus. Ce
dernier ne laisse pas de vanter son « adresse impressionnante » dans
un des quartiers d’affaire principaux de la ville. Nous sommes dans la « Friedrichstadt »,
en fait la ville anciennement huguenote, dans la partie sud de Gendarmenmarkt.
Figure 1 Immeuble Stadtquartier, CMB.
C’est beau, central, et
propre. On tombe, en sortant de cet immeuble, sur la station de métro « Stadtmitte »,
soit « Centre ville ». Que peut-on désirer de plus ?
Quant à Marc Bloch
(1886-1944), c’est un des grands historiens français de sa génération, un des
fondateurs de l’Ecole dite des Annales, qui sut rapprocher l’histoire des
sciences sociales, économiques et sociologiques. Médiéviste, il écrivit aussi
sur la fabrique de l’histoire et sur la défaire de 1940, l’étrange défaite. À
la suite de celle-ci, il fut résistant et bientôt arrêté par la Gestapo, torturé
puis exécuté le 16 juin 1944.
Figure 2 Marc Bloch, wikicommons
Il est désormais célébré et
de nombreuses institutions ou lieux publics portent son nom, du moins en France.
Et depuis 2012, également au plein centre de Berlin.
L’entrée est somptueuse. L’immeuble
a vraiment du standing.
Figure 3 Entrée
de l'immeuble Stadtquartier (photo DT)
De part et d’autre de l’entrée
où règne un vigile affable, des couples d’ascenseurs distribuent les visiteurs jusqu’à
leur destination. Un ballet silencieux d’ascenseurs si rapides qu’ils ne permettent
jamais l’enclenchement d’une conversation qui serait aussitôt interrompue. On
se contente donc d’un salut pour se quitter, tschüss ou auf wiedersehen,
suivant la tête du client. Et le plus souvent rien du tout.
Figure 4 Entrée
d'un ascenseur (photo DT)
Mais pourquoi tant de
marbre ?
Et pourquoi si rose ?
Promenons-nous un peu dans
les alentours immédiats. Et faisons un peu d’histoire, après tout notre Marc
Bloch était historien.
Nous pouvons lire dans une
encyclopédie en ligne les choses suivantes :
« Fin janvier 1933,
Hitler qui jugeait la chancellerie du Reich indigne du Reich allemand, convoqua
Albert Speer dans son cabinet de travail et lui confia une nouvelle mission : « Je dois bientôt engager des pourparlers d'une extrême
importance. Pour cela, j'ai besoin de grands salons et de grandes salles pour
pouvoir en imposer aux potentats étrangers, surtout aux plus petits. Comme
terrain, je vous donne la Vosstrasse en entier. Le
coût de l'opération m'est égal. Mais ça doit aller très vite et malgré cela
être du solide. Combien de temps vous faut-il ? (...) Pourriez-vous vous
être prêt pour le 10 janvier 1939 ? Je veux que la prochaine réception du
corps diplomatique ait lieu dans la nouvelle Chancellerie. »
Figure 5 La façade
de la nouvelles chancellerie du Reich (encyclopédie wikipedia)
Il affecta tout un terrain sur la Voßstrasse à cet effet, entre Potsdamerplatz et la Wilhelmstrasse. Le bâtiment « d'un
volume de 400 000 mètres cubes » devait manifester « le
renouveau et la force du Reich allemand ». Il était notamment doté d’une
galerie de prestige, vaguement parodique de celle de Versailles, revêtue de
marbre rose jusqu’à son sol glissant. Ne pas glisser constituait pour les visiteurs
une première épreuve de leur capacité politique à endurer des temps agités.
Figure 6
Marmorgalerie de la Reichkanzlei
La couleur évoquait, plus que
les glaces bien trop réfléchissantes de Versailles, un air de Trianon, alliant
la dureté de la matière au prestige de la couleur.
Figure 7 Trianon
(wiki commons)
Ce grandiose édifice fut
détruit à la fin de la guerre que son occupant principal contribua grandement à
déclencher. En attendant de savoir comment occuper cet espace difficile, on s’y
gare (à bon prix).
Figure 8 Parking
de la Voßstrasse (photo DT)
Un grand vide significatif en ces zones si
centrales, déjà cernées au sud par l’immense « Mall of Berlin » (telle est la désignation officielle),
frétillant de boutiques que l’on retrouverait dans toutes les autres villes.
Figure 9 Parking
de la Voßstrasse (Photo DT)
Les fantômes d’un passé qui continue de rôder prennent
à l’occasion la forme de figures de cires d'un Madame Tussauds de circonstance, et cherchent – selon moi en vain – à
introduire un peu de rose et de divertissement dans cette ambiance qui pourrait
devenir pesante. Mais le rose qui nous intéresse est d’abord celui de ce marbre
somptueux. Où est-il passé ?
Pour partie, on en fit des monuments, à la mode
soviétique. Le grand mémorial de Treptow, par exemple, qui a nécessité 40 000
m3 de granit et permis la réutilisation d’une bonne quantité de marbre.
Figure 10 Mémorial
de Treptow (wikicommons)
Le marbre garde ici son
caractère majestueux.
Figure 11
Cénotaphe (wiki commons)
Mais il y avait vraiment
beaucoup de marbre rose. Les monuments soviétique, malgré leurs dimensions
conséquentes, ne suffisaient pas au recyclage. La station de métro la plus
proche en bénéficia. C’est pour cela que la station Mohrenstrasse quoique
peu fréquentée est si imposante.
Figure 12 Station
Mohrenstrasse (photo DT)
Figure 13 Le marbre
et les poubelles de l'histoire (photo DT)
Figure 14 Sortie
Est d'une longue traversée (photo DT)
En sortant, le passant qui veut se rapprocher de la
Friedrichstrasse peut admirer sur sa gauche des restes de l’architecture des
années 30,
Figure 15
Mohrenstrasse (photo DT)
Et sur sa droite un coin de Corée du Nord, un hôtel
controversé (mais cela est une autre histoire…)
Figure 16 Ambassade
de Corée et City Hostel (photo DT)
…avant de retrouver l’entrée
somptueuse du Centre d’histoire qui perpétue la mémoire du grand historien français
…
Figure 17 Entrée
du 191 Friedrichstrasse (photo DT)
Mais, à propos, ce marbre
rose, cela ne vous rappelle pas quelque chose ?
Très beau texte (et illustrations). C'est simple, clair et direct. A partir d'un seul immeuble, vous en dites beaucoup et sur Berlin et sur l'Allemagne actuelle en général.
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