Dans la rue du Prince régent, Prinzregentenstrasse
69-70, la dernière grande synagogue de Berlin, construite en 1928-30, inaugurée
en grande pompe le 16 septembre 1930, avec un discours de Leo Baeck, pouvant
contenir plus de deux mille fidèles.
Incendiée en 1938 lors de la Nuit
de cristal, jamais rebâtie après-guerre, elle fut laissée à une institution
caritative dans les années 1950. Il en reste une simple plaque sur la façade
qui rappelle l’origine de ce lieu d’accueil pour aveugles construit en 1959
avec les gains de la loterie…
Rien d’autre ne la signale aux passants.
En fouillant des yeux parmi les plates-bandes, on repère la plaque
commémorative dans l’avancée de jardin donnant sur le trottoir.
On pouvait voir un temps des photos de
l’ancienne synagogue au second étage de l’Ecole anciennement Robert-Diesel et
maintenant Ernst-Habermann (il y a toujours un superbe moteur diesel exposé
dans l’entrée), un travail d’élèves autour d’un prof d’histoire averti sans
doute, une exposition bien discrète.
En face, sur le trottoir de la synagogue, vécut entre 1930 et 1933 un Berlinois devenu célèbre: éclipse d'une autre ville furtivement entrevue.
L'immeuble est lui aussi si inapparent, qu'on suppose que la plaque est de pose récente. Une parenthèse qui s'ajoute à tous ces creux et ces vides qui constituent le paradoxe d'une ville trouée. Accueillante du néant, où beaucoup ne voient que de la place libre.
Le gymnase attenant à cette
école, débouchant sur le Volkspark, a
accueilli pendant presque deux ans des réfugiés de la crise de l’été 2015. Un
abri provisoire qui a duré plus longtemps que prévu, comme il en a poussé en
ces années un peu partout dans Berlin, peuplant et donnant vie à des hôpitaux
désaffectés, des hôtels surannés, des gymnases ou des bâtiments publics
surdimensionnés et sans emploi plus urgent.
(photo du quotidien Tagesspiegel, 21 décembre 2016)
Ils sont maintenant relogés, ailleurs.
En peu de mètres, sans rien qui
l’indique spécialement pour le passant ordinaire, une histoire particulièrement
dense, invisible et donc presque … aveugle, mais d’une présence fantomatique
pourtant insistante, est tapie.
Une courte portion de rue, où
l’on peut passer des dizaines et des dizaines de fois sans y rien remarquer de
particulier. Et soudain s’entrouvre la dimension passée, les échos du présent,
les rimes internes de ce chant urbain souvent déchirant. Et cela hurle soudain
à l’oreille attentive. La discrétion même des signes commémoratifs, quelle
qu’en fussent la raison et l’intention, l’occasion et la manière, met sur la
voie d’une entente plus juste de cette ville à plusieurs vitesse, exposition
béante des embardées du temps historique. D’un temps qui se poursuit et qui
continue de poser ses traces, sauvant de la destinée patrimoniale de tant de
villes européennes.
Le présent rejoue sous d’autres
signes des aventures passées. L’afflux des réfugiés de l’été 2015 s’inscrit
dans la longue histoire du Brandebourg comme refuge. Le moteur diesel dans
l’entrée de l’école adjacente rappelle la gloire industrielle et ingénieuse de
l’Allemagne du tournant du siècle. La disparition visuelle de la synagogue
indique l’étendue du drame du siècle passé, dans le crime et dans le
refoulement du crime.
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