paru dans Po&sie 125, 2008, p. 51-54
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cc
oh, He went
silence
let us hear at the storm
the windy snow
that takes the last leaves
winter
no one in your thoughts
no direction in the air
up and down are nothing
while you're training
your voice again
6xii13
Antjie Krog
Au nom de l’autre langue
La langue dans
laquelle j’écris est l’afrikaans. L’Afrikaans, appelé d’après le continent où
elle est parlée, est l’une des rares langues à voir le jour au début du
vingtième siècle. Les Afrikaner, le peuple dont je viens, n’ont pas seulement
perdu la guerre impérialiste contre les Anglais en 1901, mais virent aussi près
du quart de sa population mourir dans des camps de concentration. Quand ils
rentrèrent à leurs fermes et villes dévastées et brulées, ils utilisèrent
l’Afrikaans, appelé aussi « néerlandais de cuisine » car provenant
des esclaves, pour former la nation afrikaner. Les Afrikaner parvinrent au
pouvoir en 1948 et mirent en place l’apartheid avec une série de lois et
d’oppression violente (y compris contre ceux qui parlaient afrikaans mais
n’étaient pas blancs). La langue fut protégée par ce pouvoir et d’énormes
structures furent constituées pour elle en sorte que vers le milieu des années
1930 elle put produire une littérature assez puissante pour culminer dans les
années soixante avec des écrivains internationalement reconnus comme André
Brink et Breyten Breytenbach. C’est dans cette langue que j’ai commencé à
écrire et à publier très jeune.
Vers la fin des
années 1980, après six volumes de poésie et quinze années d’écriture en
afrikaans, on commença, en raison de mon engagement politique, à traduire mon
œuvre en anglais pour la première fois. Les œuvres d’Afrikaners furent souvent
traduites, certains traducteurs étant spécialisés dans la traduction de
l’afrikaans. Les Afrikaners vivaient dans
un système inhumain et les langages du monde étaient curieux de ce qui pouvait
se passer dans la tête d’une culture si fière d’elle-même.
Après m’être
d’abord satisfaite d’être traduite, je me suis de plus en plus étonnée de ce qui était chaque fois choisi pour être
traduit, le plus souvent des poèmes faciles, la plupart du temps de simples
slogans politiques et peu de choses de l’œuvre politique plus complexe,
féministe ou expressément sexuelle. De plus, quand je lisais ces poèmes ils me
paraissaient si complètement anglais que je ne ressentais plus de rapport à eux
et ne pouvais pas même les lire à haute voix. Ils en étaient venus à avoir été
écrits par quelqu’un d’autre. Ils étaient devenus trop anglais et ce n’était
pas la tonalité que je voulais obtenir. Je voulais rendre un son afrikaans,
mais en anglais. Je voulais que le lecteur ou l’auditeur soit tout le temps
conscient qu’il avait affaire à quelqu’un de non anglais, à quelqu’un venu
d’une autre sensibilité, d’une autre loyauté, d’une autre culture.
Après 1990, quand
les mouvements de libération cessèrent d’être bannis et quand Nelson Mandela
fut libéré, notre nouvelle constitution accorda aux onze langues du pays le
statut de langues officielles. Alors que l’afrikaans partageait ce statut
uniquement avec l’anglais, il devait désormais le partager avec les dix autres.
L’afrikaans, bien que fort sur le plan interne, perdit à peu près tout pouvoir
sur le plan officiel. Les Afrikaners eux-mêmes, forts sur le plan financier,
perdirent aussi tout leur pouvoir politique. Avec lui, l’intérêt pour la
littérature en afrikaans disparut. On ne se souciait plus guère de ce qui
pouvait être dit en afrikaans.
Mais, et c’est
important, une littérature sud-africaine se formait pour la première fois en
anglais. Des écrivains de tous les horizons se retrouvaient en anglais. Ceux
qui écrivaient encore en zoulou, en sepedi ou en afrikaans devinrent sans voix
dans les impasses qu’étaient devenues leurs langues dans un pays dont les
habitants cherchaient désespérément à se retrouver mutuellement après avoir été
séparés pendant tant d’années. Rester dans sa langue signifiait rester à part.
C’est là oú j’ai
commencé à me traduire moi-même. Je l’ai fait pour les raisons suivantes :
- Je voulais être et devenir une part de cette sudafricanité qui était en train de se former.
- Je devais me traduire moi-même dès lors qu’il n’y avait plus de traducteurs en quête de poètes afrikaans à traduire.
- Je voulais contrôler ce qui était traduit et comment j’étais présentée.
- Tout en voulant faire partie de ce qui était nouveau, je voulais indiquer clairement d’où je venais. Je ne venais pas de nulle part : je porte un passé avec moi. Je ne veux pas devenir anglaise, mais rester afrikaner dans un nouvel environnement sud-africain qui se trouve être anglais. En anglais, je voulais maintenir l’autre.
Au début il
semblait possible et simple de faire ainsi. Cela me permettait de fonctionner
entièrement en afrikaans et de faire usage de tous les puissants registres dont
je dispose en cette langue, et la traduction me permettait de devenir une
partie de mon pays. Je me suis aussi occupée activement de traduire la poésie
d’autres langues indigènes comme le zoulou, xhosa, venda, sesotho etc. en
afrikaans et en anglais.
Dans le même temps,
un excellent traducteur néerlandais s’intéressa à mon travail et créa peu à peu
depuis une dizaine d’années un public pour mon œuvre aux Pays-bas qui est peu à
peu devenu plus important que celui de mes lecteurs en Afrique du Sud.
Au début, j’opérais
en simple traductrice en anglais et je devais aller chercher beaucoup de mots
dans le dictionnaire et trouver des relecteurs pour contrôler la grammaire et
l’écriture. J’´évitais de traduire des poèmes rimés. Je serrais de près
l’afrikaans.
Maintenir la
structure originale de l’afrikaans avait trois fonctions : en premier
lieu, cela préservait le fait que j’étais « l’autre », que je n’étais
pas l’un ou l’une de ceux qui écrivent en anglais. Deuxièmement, c’était une
façon de dire que je ne connaissais pas intimement la littérature, les nuances
et les références littéraires de la langue où j’abandonnais mon poème, en sorte
que le poème ne pouvait être jugé et évalué en fonction des conventions de
cette littérature. Troisièmement, c’était une façon de signaler que le lecteur
ou l’auditeur devait se tenir prêt à s’ouvrir à de nouveaux rythmes, à des
contenus étrangers. Cette langue à l’intérieur de la langue a souvent une
fonction revigorante dans la mesure où elle assume complètement sa distance et
son opposition aux façons de parler de l’anglais.
Mais à mesure que
mon anglais s’améliorait à force de travailler et de vivre dans une communauté
plus ou moins anglophone, je commençai à ne plus me satisfaire des parties des
poèmes afrikaans qui ne passaient pas bien en anglais. Je commençai alors à
opérer des changements. Je récrivis, me servis d’autres rythmes, commençai à
utiliser les poèmes et les échos anglais, en sorte que les poèmes traduits
devinrent souvent de nouveaux poèmes. Je devins de plus en plus consciente de
la différence entre une traduction et ce que l’on appelle une auto-traduction.
Le traducteur a à être loyal envers l’œuvre telle qu’elle est ; sa
compétence et sa créativité doivent rendre justice au texte existant dans la
nouvelle traduction. Mais dès que je traduis mes propres poèmes, je ne ressens
plus aucune loyauté envers le vieux texte, qui existait, était bien là, vivait
sa propre vie, alors que ma loyauté, ma compétence et ma créativité se tournent
vers le nouveau texte, le nouveau processus et la nouvelle vie de ce poème.
Comment pouvais-je
y parvenir dans une culture qui ne m’était pas familière ? Je gardai les
structures du poème afrikaans tout en commençant pour la première fois à faire
confiance à l’instinct créateur y compris dans la langue étrangère. C’est ainsi
que mon oreille, initialement fiable pour le seul afrikaans, devint peu à peu
plus sûre en anglais. J’ai aussi souvent donné des lectures publiques où j’ai
mis en avant cette tonalité anglaise avec son timbre afrikaans. Je me suis
ainsi autorisée à travailler de façon créative, non comme traductrice, mais en
faisant un nouveau poème à partir de l’ancien.
En d’autres mots,
le second procès créateur devient plus important que le fait de rester fidèle
au premier.
J’ai regardé de
près l’écriture d’un auteur connu qui fut le premier écrivain Afrikaner à avoir
commencé à publier aussi bien en afrikaans qu’en anglais. Certains critiques
disent que ses descriptions sont devenues plus générales et de moins en moins
culturellement spécifiques, ce qui enlevait beaucoup à la merveilleuse couleur
qui était dans ses écrits. C’est pour cela que j’ai toujours procédé à partir
de poèmes finis et publiés, afin d’être sûre que la voix poétique intérieure
avait été au bout et déroulé toute la logique poétique de ce que je voulais
dire. Dans le Pays de mon crâne (Country of my Skull), mon livre sur la
Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, il y a un chapitre que
j’ai écrit directement en anglais : celui sur Winnie Mandela. C’est le
chapitre pour lequel j’ai toujours reçu le plus de critiques en termes de
jugement moral et je me suis souvent demandé s’il serait devenu un autre
chapitre si je l’avais tout d’abord écrit en afrikaans.
Pour finir je
voudrais évoquer quelques problèmes rencontrés par une poète qui se traduit
elle-même d’une langue sans importance vers une littérature nouvellement
constituée à l’intérieur de la première langue du monde.
Le problème
principal est que l’accès au lecteur et à la critique part de plus en plus de
l’anglais. Cela veut dire que l’on reçoit beaucoup de commandes de poèmes ou de
contributions en anglais – que je continue à écrire d’abord en afrikaans. Je ne
peux pas faire autrement, l’inspiration poétique ne me vient que dans ma langue maternelle.
Mais souvent aussi le temps manque, ou les raisons de retravailler un poème
jusqu’à ce que j’en sois satisfaite. Alors j’utilise le poème brut, non fini,
et je commence à traduire. Je travaille durement à la traduction, mais les
solutions des problèmes de structure et de sens sont maintenant directement
élaborées en anglais. Parfois, je retraduis ces solutions dans le texte
original en afrikaans puis retransforme l’anglais, mais de plus en plus je
considérais que j’avais pu attraper quelque chose en anglais pour quoi je ne
parvenais pas à trouver de bonne traduction en afrikaans, ce qui voulait dire
qu’alors le poème anglais me paraissait meilleur que celui en afrikaans. Je
trouve cela effrayant parce que je ne connais pas assez la littérature anglaise
pour être vraiment originale en cette langue. Mais à quoi bon batailler pour
sauver la tonalité afrikaans alors que l’on commence soi même de plus en plus à
penser en anglais ? Cela signifie aussi que mon afrikaans se détériore. Je
dois dire que mon séjour en Allemagne m’a restitué ma langue avec une telle
force que je me suis trouvée à nouveau écrire en afrikaans sans plus désirer
exister en anglais.
Le problème lié à
celui-ci est que les autres traducteurs travaillent à partir du poème anglais
et non à partir de l’original afrikaans. C’est pourquoi la qualité du texte
anglais est d’importance primordiale. J’envoie un poème anglais récemment
traduit en Allemagne pour qu’il y soit traduit en allemand. Entre-temps je le
retravaille, le transforme et le publie. A présent la version allemande diffère
de l’anglaise et de celle en afrikaans.
Le second problème
et que cette traduction prend un temps énorme. Là où d’autres écriraient un
nouveau poème, je dois traduire. La production s’en ressent évidemment et est
plus mince que celle de quelqu’un travaillant uniquement dans sa propre langue.
Le troisième
problème est qu’on ne parvient plus à trouver une consistance dans sa propre
langue. On est si occupé de cette langue, la langue est elle-même si obsédée de
sa protection que l’on en est venu à privilégier la survie et non la qualité.
Avec qui est-on désormais en dialogue ? Quels sont les échos de notre
œuvre ?
Quatrièmement, il y
a une hostilité dans la nouvelle langue pour l’ancienne, craignant que le
langage de la puissance, le langage raciste expulse ses écrivains, beaucoup
d’entre eux étant excellents, dans la nouvelle littérature. La question est
bien sûr : pourquoi donc ces écrivains afrikaans qui ne se sont auparavant
jamais soucié d’être anglais seraient-ils soudainement intéressés de
l’être ?
Pour conclure. En
travaillant à ce texte pour ce soir, j’ai pris conscience que mes efforts de
traduction étaient devenus un incroyable chaos ; je ne vois plus la
moindre possibilité de revenir au seul afrikaans, et je ne vois devant moi
qu’un marais postcolonial et postmoderne.
(texte prononcé le vendredi 6 juin 2008 au Literarisches colloquium de Wannsee, traduit de l'anglais par DT)
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