Aux larges
carrefours de Pékin, une hétérogénéité telle de véhicules mobiles entreprend de
passer qu’il n’est nulle règle qui vaille plus, mais la souplesse d’éviter le
flux contraire qui se referme après soi. Aucun heurt ne s’aperçoit, alors qu’il
en devrait y avoir d’incessants. Chacun sait où vont les autres. Les angles du
pousse-pousse n’accrochent pas les passants, ni la mobylette ne leur porte
danger. Pas d’agressivité pourtant partie prenante de la mobilité urbaine, mais
l’art d’être en masse transposé au mouvement des roues.
Sur les voies
d’eaux non plus ne s’atteste aucune règle, aucune priorité systématique pour un
bord ou l’autre. On se regarde et, selon l’opportunité, passe de bâbord ou de
tribord. Personne n’est particulièrement dans son droit ni ne peut se prévaloir
de l’arrogance de devoir passer. Chacun nécessairement s’adapte à l’autre et
aux exigences du flux commun où l’on se croise. Un homme à l’avant signale,
d’un drapeau vert ou rouge sur le côté, par où il passera ou non.
Dernière image si
joliment encadrée dans le rétroviseur d’un minibus : le chauffeur hilare,
conversant sur son portable, entre deux courses. La bonne humeur prête à bondir
nous est d’autant plus sensible que, visiblement, la vie ordinaire n’est ici
jamais facile.
Dans les places
infiniment carrées, dans les gares fourmillantes, tout glisse et trouve son
lieu. On ne se bouscule pas, même en se touchant.
Partout, dans les
campagnes, des silhouettes affairées, ou assises, contemplatives, bavardant ou
dormant à la sauvette. Dans l’animation des paysages urbains aussi on trouve
des dormeurs acrobates.
Ce qu’on ne voit
jamais : des piétons au bord d’une branche d’autoroute, des vélos sur la
piste de l’aéroport, des marchands de fruits sur trois bambous flottant à
l’abordage des bateaux de passage. Empilement des temps.
Gaieté dans le
train, échanges au distributeur d’eau bouillante pour le thé du soir et les
nouilles du matin.
Tranquillité ou
placidité de tous, - parce qu’on en a tant vu ?
Effets de
l’acculturation dans l’absence de politesse, qui surprend, mêlée à tant de
gentillesse.
Autres
images : le retour des bateaux transportant les touristes sur la rivière
Li ; à l’arrière sont les cuisines, en plein air, qu’hommes et femmes
nettoient d’abord, les femmes se lavent les cheveux dans un seau à côté.
L’aéroport de
Pékin traversé par une bicyclette.
Les moines
bouddhistes vidant le tronc avec application au temple du Ciel.
Le temple perdu,
non sauvé, simplement emmuré pour le protéger de la montée inexorable des eaux
du Yangzi, devenu ainsi un parfait et ridicule bibelot.
Les dormeurs
omniprésents, bien sûr.
Xi’an, la rue des
calligraphes. Sous les remparts de l’ancienne capitale, on peut y acheter
toutes les qualités de papier, tous les pinceaux, les blocs d’encre, les
cahiers d’exercice, toute la poésie matérielle de l’écriture chinoise. Comme si
elle existait encore. Après la réforme du chinois simplifié, qui peut encore
calligraphier, qui peut même comprendre le dépôt des anciens livres ?
Pourtant des amateurs sont là, un reste de curieux ou de passionnés qui ne veut
pas tout abandonner.
Pas plus au
Temple du Ciel qu’en rase campagne, on ne l’a vu bleu. Impossible de connaître
la perspective si le soleil se joue de nous jusqu’à nous dérober toute ombre,
ne laissant que sa chaleur étouffante. Nous perdons l’orientation, nous sommes
au centre. Dans la blancheur jaunissante de l’air irrespirable.
Cette vapeur
devient pourtant la beauté même des montagnes, qui seraient nues et sans
attrait particulier sans cette ambiance mystérieuse qu’ils lui confèrent. Le
rien ici fait tout.
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