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Maillol: occuper son espace

 

Le bienfait de cette exposition* est de se rendre compte directement de l’épaisseur d’une œuvre porteuse de bonheur. On ne réduira plus Maillol aux statues dénudées qui, l’hiver, ont bien froid dans les Tuileries. Et l’on regardera autrement celles-ci.

 


D’abord un peintre, qu’il aurait pu être ou continuer d’être, non médiocre, bien que sans doute pas du premier rang. Des lèvres boudeuses, des couleurs pastel, un remplissement, déjà, de l’espace par les corps. Il aurait pu figurer aux côtés de Matisse ou Bonnard, mais autre chose le requérait que la couleur. Du côté de l’ornement et des autres techniques où il s'essaya, des fontaines d’appartement, tapisseries, décors, tout ce qui élargissait sa palette et la faisait sortir du plat, qu'il expérimenta tout en peignant. Puis les premières formes surgies du bois, déjà triomphantes, et le travail de la matière qui va avec, le long dialogue avec le bois de poirier : des formes de femmes sortent de l’arbre, rayonnantes.

 

Nous sommes dans le plein, dans la recherche de la densité. C’est beaucoup de regard sur les formes et les attitudes, beaucoup de dessins qui en parcourent les contours, mais cela n’aboutit pas, pourtant, à un classicisme de la ligne, car la matière occupe un espace et s’y met à son aise. Point d’angoisse ou de vertige. Rodin est pris à revers. Même cette étrange figure de l’air est comme suspendue dans sa masse, suscitant sa propre apesanteur.

Une prédilection pour la forme féminine, sans doute, puisque son lyrisme sobre l’y porte. Il va à l’épaule, à la cuisse, à ce qui tient et déploie le corps. Mais il se sublime sans doute dans le dos, jusqu’à celui de Thérèse, si éloquent.


 

Les figures assises, si fortes en leur abandon qui est concentration et non relâchement, si pleines de l’espace qu’elles structurent à partir d’elles, qui sont une méditation plus proche du sommeil que du rêve, plus proche d’un abandon sans au-delà. 


 

Le contraste des deux « Méditerranée » permet d’apprécier, en-deça de la version que la marbre fige en direction de son intitulé classicisant, la simplicité et l’évidence de cette « femme assise », dans toute l’humanité de son calcaire initial (dans la version 1905 venue de Winterthur). Il en va de même de l’émotion charriée par « La nuit » de calcaire.





* « Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie », exposition au Musée d’Orsay dirigée par Ophélie Ferlier-Bouat et Antoinette Le Normand-Romain (avril-août 2022).

 

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