Ce dimanche 4 juin, Naples sera en feu. L’occasion est de fêter un événement rare – disons un miracle : le troisième scudetto de son histoire. Pas une rue de la ville qui ne soit pavoisée de bleu ciel et de blanc. Pas un commerce qui n’arbore quelque portrait de joueur mêlé à son activité, que ce soit une parfumerie, une épicerie ou l’opéra San Carlo. Un boucher fait figurer grandeur nature un des attaquants du Napoli tenant une côtelette géante. Et partout des slogans de fierté, d’humour ou d’incongruité. Tel se félicite du retour des Bourbons (et voit le Napoli « champion en Italie » et non « d’Italie »), tel « recommence à partir de trois » comme dans le film de Troisi, tel exprime la participation physique, mentale, totale de la population à l’événement miraculeux. Une rédemption tombée du ciel. Cela tombe bien, c’est la couleur des maillots du Napoli.
Comment résister à cette joie, à cette emballement de l’imagination, à cette reconnaissance si longtemps espérée et si tard venue, mais quand même venue, revenue ?
À Munich, Manchester ou Madrid, où les victoires s’empilent avec régularité, proportionnées souvent aux investissements consentis, décidées parfois très tôt dans la saison, comment ressentir une joie quelque peu comparable ?
Ici, l’attente a duré. Seul un miracle pouvait la débloquer.
Un miracle, seul un saint peut en faire. C’est un des critères obligés du dicastère pour la cause des saints, anciennement Congrégation des rites, en catholicisme.
Le saint, qui a détrôné San Gennaro, s’appelle Diego Maradona (1960-2020).
Dans les représentations de l’équipe actuelle, il est présent, soit parmi les joueurs, soit fiché dans un coin du ciel, angelot surveillant le cours des événements. Qu’il soit mort n’y fait rien, c’est au contraire la condition ultime de sa canonisation. Il veille dorénavant sur l’équipe, et, à n’en pas douter, sur toute la cité de Naples.
Il venait de d’ailleurs, de la lointaine Argentine. Il est resté assez longtemps pour accomplir des miracles (deux scudetti). Un autre miracle : il fut le seul joueur de calcio à marquer un but de la main sans qu’on puisse le lui reprocher. Ce qui aurait paru pitoyable et bas commis par un autre, avec lui devenait sublime : la main de Dieu. Il fut martyrisé, subit toutes les avanies de la dépendance à la drogue, la chute dans les bas-fonds, la déchéance physique, lui qui était la santé même, l’explosivité inattendue, la puissance transformée en intelligence. Rien ne lui fut épargné dans sa chute, par lui-même causée, tragique donc.
Il quitta Naples.
Mais son souvenir resta si fort qu’il hanta de plus en plus les esprits. Qu’il fût mauvais garçon, peut-être, n’était en rien un obstacle (et peut-être même une condition de son retour). Il avait fait des miracles. Sa présence s’affirmait dans l’imaginaire collectif de plus en plus. Le stade enfin porta son nom. Quand la victoire revint du côté de Naples, à n’en pas douter, c’est bien qu’invisible parmi les joueurs, il avait guidé la manœuvre.
Il manquait encore à sa canonisation – qui est bien autre chose qu’une simple réputation – la mort et le miracle.
Une rue, un stade, tant de boutiques portent son nom : un nom éminemment sacré (dans Maradona, il y a Madonna, comme une évidence).
Des autels, des lieux de culte, fleurissent en tous les coins de la ville, comme pour San Gennaro.
Un trésor liturgique somptueux est installé en bonne vue dans le célèbre café Gambrinus.
Un mur entier est voué, dans le quartier espagnol, à sa célébration.
La distance est maintenant suffisante d’avec son passage mortel en la ville pour qu’il puisse dorénavant être affirmé dans toute sa gloire. Sa puissance est démontrée par le succès enfin revenu.
Comme devant un nouveau trésor inestimable, une foule patiente défile pour admirer le trophée des champions.
Si le Vésuve devait de nouveau menacer la cité, secondant San Gennaro, la main divine de Maradona arrêterait le feu.
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