lundi 15 décembre 2014

D’un écran à l’autre : disposer de notre attention


Il y a quelques années, le cynisme d’un dirigeant d’un grand groupe de télévision avait momentanément ému quand il résumait finalement toute son activité dans la formule du « temps de cerveau disponible » qu’il s’agirait pour lui de « vendre ».
L’essence marchande du divertissement était ainsi énoncée dans une formule lapidaire et, sinon bien frappée, du moins suffisamment frappante pour qu’elle reste depuis en mémoire.
Pourtant, il n’y avait rien de particulièrement choquant dans ces propos. Qui ne cherche à vendre quelque chose ? Bien sûr, le terme de cerveau tend à objectiver, voire à naturaliser radicalement les téléspectateurs dont il est dès lors clair qu’ils ne sont pas des « sujets », mais cela ne constitue pas vraiment une révélation. Ce qui était peut-être plus instructif est l’investissement de la dimension de la disponibilité. L’attention dont est susceptible un cerveau doit être d’abord reposée par le divertissement, amadouée, habituée, afin d’être mise à profit. C’est donc pour disposer d’elle que se déploie un tel arsenal de technologie et de jovialité factice.
La disponibilité de son temps est considérablement augmentée par les inventions de la technique et de la technologie moderne. Il s’agit maintenant d’occuper ce vide qu’on a laissé se créer. Si l’on travaille moins en temps et en force, il s’agira alors de consommer davantage.
Le risque de la disposition par chacun de son temps libre est lié au risque même de la liberté, comme libre disposition de sa volonté – libre disposition de soi. Aller repêcher les âmes en dérive du fait de la libération du temps, effet mécanique des abréviations dues au progrès technologique, c’est la tâche très philanthropique des entreprises en divertissement. Disposant de notre temps disponible, elles disposent de notre liberté même, s’en assurent en tout cas la direction par une forme de contrainte volontaire qui n’hésite pas à se nommer pour ce qu’elle est.
L’activité du spectateur n’est pas niée, mais au contraire investie par avance. On dispose de sa disponibilité même. Le consentement fait partie de l’aliénation.

Cette discussion qui n’avait suscité qu’une indignation un peu émerveillée devant le toupet de la formulation connait des suites à mesure que les objets technologiques, les techno-objets, s’emparent de dimensions supplémentaires de l’existence temporelle finie des terriens. La mobilité des techno-objets renforce l’amplitude de cette mobilisation qui vise à capter, retenir, rattraper ou détourner l’attention. L’invention des téléphones mobiles et les implications des objets sans-fil ont bouleversé à maints égards les comportements urbains (il est vrai précédés et comme anticipés par la vogue des baladeurs, dont la philosophie était la même : isolement et mobilité personnelle). Le rapport au monde passe de plus en plus par les écrans réduits des téléphones intelligents ou pas. La publicité y passera donc aussi.

Il y a pourtant des mauvais coucheurs, des empêcheurs de publiciser en rond, qui inventent des défenses perfides et véritablement diaboliques permettant de filtrer voire de parer effacement les envois spontanés de publicité. Un de ces fâcheux est le logiciel Adblock Plus.
L'entretien qui a paru dans Le Monde du 9 décembre 2014 est assez instructif pour qu’en en cite et en médite certains passages. Un certain S. Hauser, délégué général du Bureau des publicités interactives, a envisagé d’engager une action en justice contre le logiciel Adblock Plus qui permet de bloquer les publicités depuis un navigateur sur internet. Cinq millions d’utilisateurs y recourraient en France, ce qui représente un manque à gagner considérable. Comme l’indique un article sur la même page, les mobiles, qui représentent près du quart des « usages médias » en 2014 aux Etats Unis, ne représentent encore en ce pays, si prémonitoire à maints égards, que guère 6,2 % des investissements publicitaires (« Le mobile, nouvel horizon des publicitaires », Le Monde du 9 décembre 2014). Ce qui suggère qu’une marge de progression importante existe, si l’on veut bien considérer les choses dans cette perspective. Il y a donc comme une attente légitime de s’emparer de cet espace. Alors, que 80% des utilisateurs trouvent fastidieuse la publicité spontanée qui s'affiche sur l'écran, selon un sondage « OpinionWay » rappelé dans l’entretien, cela ne doit être considéré que comme un obstacle momentané, relevant manifestement d’un retard culturel auquel il est toujours possible de remédier. On apprendra à tout ces gens à ne plus se sentir indisposés.

Réponse de Hauser : « Quand on demande aux Français ‘aimez-vous la pub ?’, la première réponse, c’est ‘non’. Mais la réclame digitale est efficace, elle a fait ses preuves, elle continue de le faire, elle évolue tous les jours. Donc il ne faut pas s’arrêter à ce que l’on considère un peu comme des raccourcis de sondage. »

Tant qu’on parvient en effet à faire croire que la publicité ne coûte rien à ceux qui en sont les cibles, et qu’elle est solidaire de la gratuité de certains services sur internet, il n’y a en effet pas besoin de s'arrêter à ces critiques.
Le client est à disposition. En vertu de la loi du moindre effort, il paraît en effet que « cela marche ». Les idéalistes voulant bloquer ces informations publicitaires ne comprennent décidément rien, ou veulent simplement notre ruine et la leur.

Pourtant, en rester à l’ironie incrédule devant ces manifestations finalement si naïves dans la conscience de quelque bon droit final qui justifierait l’interventionnisme marchand jusque dans les sphères les plus privées de l’existence, c’est encore redoubler inefficacement le cynisme de ceux qui mettent en pratique ces campagnes d’abrutissement massif.
Or 80 %, c’est encore une belle majorité refusant qu’on dispose à sa place de son esprit.
Il n’y pas donc de fatalité que des blancs-becs impatients s’en emparent pour y répandre leur vide.

15.XII.2014

samedi 13 décembre 2014

Que faisons-nous quand nous lisons?

Une réflexion sur l'acte de la lecture comme lieu de la constitution de soi et du rapport aux autres, et une invitation à agir:
„Kultur bildet.“ erscheint als regelmäßige Beilage zu Politik & Kultur, der Zeitung des Deutschen Kulturrates.
In dieser Ausgabe:
Mehr als Zeichen von Denis Thouard, Vom Lesen zum Schreiben. Stefanie Ernst im Gespräch mit Regine Möbius, Genug der Worte? von Sascha Schröder, Der Vorleser. Stefanie Ernst im Gespräch mit Rufus Beck, Wenn Alltägliches zur Qual wird von Anke Grotlüschen, Jugendclub vs. Leseclub von Esther Dopheide & Juliane Pflugmacher, Zugang legen. Stefanie Ernst im Gespräch mit Barbara Schleihagen, Schlüsselkompetenz von Gisela Beste & Irene Hoppe, Lesehelfer 2.0 von Elisabeth Simon-Pätzold, Můĺţilĭnġuàļ! von Maria Ringler, Eine Frage des Kanons von Maik Philipp, Wo bleibt der Masterplan? von Birgit Dankert, Kompetenzvergleich von Anke Walzebug & Wilfried Bos, Fürsorgepflicht, aber kein Allheilmittel von Jürgen Jankofsky
Titelzusätze/Reihe: 
Nr. 6
Herausgeber/in: 
Olaf Zimmermann, Theo Geißler
Institution: 
Deutscher Kulturrat e.V.
Erschienen in: 
Politik & Kultur 06/2014
Erschienen: 
November 2014
Ort: 
Berlin
Verlag: 
ConBrio Verlagsgesellschaft mbH
Seiten: 
12 Seiten


ISSN: 




2191-5792