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Second regard sur le Japon

 

Revenir, ce n’est plus voir la même chose. Une sorte de familiarité, d’attente, s’est établie. Elle dégage la vue pour apercevoir d’autres détails, plus fins ou plus cachés.


 

Plus que le caractère contraint du peuple des bureaux, pantalon noir et chemise blanche, en rangs dès le matin sur les trottoirs, ou des écoliers et écolières, collégiens et lycéens en uniforme, c’est le moment de la sortie, de la détente, de l’après qui s’impose cette fois. Ambiance gaie et chaleureuse du vendredi soir dans les petits restaurants de la capitale. Bonne humeur de ces lieux conviviaux où chacun est salué par tous, presque acclamé à son entrée. Observation que l’une des plus gigantesques des villes du monde offre pour tous les moments des lieux où se retrouver, des terrasses, des passages, des trottoirs où la vie continue son train. 


 

Dans les rues, nulle tension. Par la densité incroyable de la ville, une organisation extrêmement pensée rend les parcours, rencontres, séjours et déplacements des uns et des autres possibles sans anicroches. Non que tout soit uniquement pensé en amont. L’organisation est là, mais aussi la capacité à s’orienter à tout moment. Un exemple : si surprenant que ce soit, les vélos partagent avec les piétons les trottoirs, mais sans posséder d’espace exclusif. Ainsi doivent-ils en permanence faire attention aux autres, roulant sans doute moins vite, mais pleinement conscients d’un espace partagé.


 

En gare de Kobe, toutes les deux minutes des chants d’oiseaux enregistrés. D’autres chants, dont le coucou, engagent les piétons à traverses ou à s’arrêter.

Gants blancs impeccables des conducteurs de tramway, observés à Hiroshima, à Matsuyama. Uniformes là encore, prestige de la chose publique.


 

Imabari. Petite ville décatie, activités textiles en berne, un peu de pêche, un très beau château baigné des eaux de mer, un Ryokan simplissime – on petit-déjeune d’un rouget séché aux algues, purée de navets, soja mariné au sésame, thé vert, soupe aux légumes, sous l’œil des membres de la pègre locale les plus recherchés, étalés sur une affiche inquiétante. Soirée au bistro du port, poissons en suivant des jeux télévisés, puis tour du château.


 

En suivant les itinéraires côtiers, nous avons – sans regret – allongé le parcours – mais vu des villages vivants, habitants en bottes à caoutchouc, petites plantations quand le sol est plat, ici des nèfles et des abricotiers, précieux fruits enveloppés de papier pour les soustraire à la voracité des oiseaux, là des citronniers et des orangers, ailleurs des fleurs. Beaucoup de maisons traditionnelles, parfois des villages entiers. Puis des installations industrielles, acier, chantiers navals, de plus en plus à mesure qu’on se rapproche d’Honshu.

Le parcours du Shimanami kaido traverse 7 îles, toutes différentes, reliées par des ponts magnifiques, légers, aériens, d’où l’on admire la mer peuplée et les collines sauvages.



Etonnantes campagnes électorales : des voitures avec haut-parleur sillonnent la campagne. Des femmes aux gants blancs saluent les passants, d’une politesse un peu contrainte. Parfois l’on s’arrête et – le plus souvent dans l’indifférence générale – un prétendant aux suffrages parle dans un micro. Bien peu l’écoutent. 


 

Kyoto, le jardin des jardins : au cœur du vert, les cailloux et les roches. Arbres, lumière, mousse, pétales chus.

Quartier Kabukicho, théâtres, salles de concert – envahi le samedi de teen-agers raffolant de groupes coréens pré-pubères. Spectacle assez déconcertant. Refus de grandir, refus de tout le poids de ce pays si normativement esthétique. Besoin de se saouler de kitsch et de mauvais goût – de découvrir les hot-dogs, les sucreries et les laitages dont on a été si heureusement exempté jusque-là.


 



Masses de buildings entre Shinjuku et Shibuya : incroyable ville.

Quartier d’Asakusa – Elégantes en démonstration, selfant ou se faisant selfer.


 



Le long du fleuve Sumida, rêverie des estampes. Dégagement sur les gratte-ciels qui hachent le coucher de soleil. Vie de quartier qui sort des abris.


 

L’extrême spécialisation, qui n’est pas le culte de la perfection, produit une diversification infinie. Au restaurant, on reconnaît à peine ce que l’on mange. Poulet qui paraît sous cinq avatars inédits. Rien qui permette de passer de l’un à l‘autre, de dire : c’est la même substance, ici et là. Goûts soupesés. L’aigre, l’amer et le salé en contrepoint. 


 

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