mercredi 24 avril 2013

De la Chine



Aux larges carrefours de Pékin, une hétérogénéité telle de véhicules mobiles entreprend de passer qu’il n’est nulle règle qui vaille plus, mais la souplesse d’éviter le flux contraire qui se referme après soi. Aucun heurt ne s’aperçoit, alors qu’il en devrait y avoir d’incessants. Chacun sait où vont les autres. Les angles du pousse-pousse n’accrochent pas les passants, ni la mobylette ne leur porte danger. Pas d’agressivité pourtant partie prenante de la mobilité urbaine, mais l’art d’être en masse transposé au mouvement des roues.
Sur les voies d’eaux non plus ne s’atteste aucune règle, aucune priorité systématique pour un bord ou l’autre. On se regarde et, selon l’opportunité, passe de bâbord ou de tribord. Personne n’est particulièrement dans son droit ni ne peut se prévaloir de l’arrogance de devoir passer. Chacun nécessairement s’adapte à l’autre et aux exigences du flux commun où l’on se croise. Un homme à l’avant signale, d’un drapeau vert ou rouge sur le côté, par où il passera ou non.


Dernière image si joliment encadrée dans le rétroviseur d’un minibus : le chauffeur hilare, conversant sur son portable, entre deux courses. La bonne humeur prête à bondir nous est d’autant plus sensible que, visiblement, la vie ordinaire n’est ici jamais facile.


Dans les places infiniment carrées, dans les gares fourmillantes, tout glisse et trouve son lieu. On ne se bouscule pas, même en se touchant.


Partout, dans les campagnes, des silhouettes affairées, ou assises, contemplatives, bavardant ou dormant à la sauvette. Dans l’animation des paysages urbains aussi on trouve des dormeurs acrobates.

Ce qu’on ne voit jamais : des piétons au bord d’une branche d’autoroute, des vélos sur la piste de l’aéroport, des marchands de fruits sur trois bambous flottant à l’abordage des bateaux de passage. Empilement des temps.

Gaieté dans le train, échanges au distributeur d’eau bouillante pour le thé du soir et les nouilles du matin.

Tranquillité ou placidité de tous, - parce qu’on en a tant vu ?

Effets de l’acculturation dans l’absence de politesse, qui surprend, mêlée à tant de gentillesse.

Autres images : le retour des bateaux transportant les touristes sur la rivière Li ; à l’arrière sont les cuisines, en plein air, qu’hommes et femmes nettoient d’abord, les femmes se lavent les cheveux dans un seau à côté.
L’aéroport de Pékin traversé par une bicyclette.
Les moines bouddhistes vidant le tronc avec application au temple du Ciel.
Le temple perdu, non sauvé, simplement emmuré pour le protéger de la montée inexorable des eaux du Yangzi, devenu ainsi un parfait et ridicule bibelot.
Les dormeurs omniprésents, bien sûr.

Xi’an, la rue des calligraphes. Sous les remparts de l’ancienne capitale, on peut y acheter toutes les qualités de papier, tous les pinceaux, les blocs d’encre, les cahiers d’exercice, toute la poésie matérielle de l’écriture chinoise. Comme si elle existait encore. Après la réforme du chinois simplifié, qui peut encore calligraphier, qui peut même comprendre le dépôt des anciens livres ? Pourtant des amateurs sont là, un reste de curieux ou de passionnés qui ne veut pas tout abandonner.

Pas plus au Temple du Ciel qu’en rase campagne, on ne l’a vu bleu. Impossible de connaître la perspective si le soleil se joue de nous jusqu’à nous dérober toute ombre, ne laissant que sa chaleur étouffante. Nous perdons l’orientation, nous sommes au centre. Dans la blancheur jaunissante de l’air irrespirable.

Cette vapeur devient pourtant la beauté même des montagnes, qui seraient nues et sans attrait particulier sans cette ambiance mystérieuse qu’ils lui confèrent. Le rien ici fait tout.


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