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Une bonne nouvelle: Heureusement qu’il reste demain - C’è ancora domani*

 

Heureusement qu’il reste demain - C’è ancora domani*

Dans le film, le plus heureux est son écho, impressionnant. Il faut penser que la condition féminine décrite à partir de la Rome de 1945 n’est pas un lointain passé révolu, qui reviendrait nous hanter, mais  se poursuit au quotidien, sans d’autres déguisements, dans notre beau présent. L’appel du public semble dire que tout cela est juste, que tout cela reste terriblement actuel. Le nombre de féminicides suffit à le résumer. Chacun, accompli, supposant une auréole d’autres, en suspens. Et chacun de ces cas où se retrouvent toutes les mauvaises raisons du monde supposant à des degrés divers l’ensemble des conduites d’infantilisation, de surveillance, d’appropriation, de mépris, de violence psychique, verbale, économique, physique. On rabaisse, ignore, ironise ou moleste, rabroue, écrase. Et il faut bien en passer car la liste en serait trop longue à égrener.

Le film est didactique et parvient à ne pas être trop pesant. C’est un conte, comme l’atteste la fin. Mais un conte émancipé. La fuite à laquelle Delia se résout pour finir, qui n’aurait pu qu’être une romance assortie de sa déception assurée au bout de quelques jours, se transmue féeriquement. Ce n’est pas le garagiste partant au Nord chercher meilleure fortune qui constitue l’issue hors de cet enfer casanier où se trouve piégée Delia. C’est le bureau de vote qui, tel un paquebot où l’on embarque, promet des lointains plus chantants et colorés.

Il y a là une efficace manipulation des attentes crées par la narration, avec la tension croissante suscitée par le décès subit du beau-père (lui aussi exécré) qui se met en travers des plans de fuite.

Autre élément de bascule dans le conte de fées : l’explosion du bar qui permet à Delia d’éloigner le spectre d’un mauvais mariage pour sa fille, à qui elle ne souhaite pas son propre sort. Giulio, le jeune premier qui faisait la cour à Marcella, sa fille, et ne se déprenait pas d’un sourire charmeur en toute circonstance, Delia l’a démasqué comme pas meilleur que son mari. Autant dire pire que tout.

L’explosion, par magie, fait voler en éclat l’assurance petite bourgeoise de la famille et leur morgue si visible lors de leur descente dans le sous-sol où habite la famille de Delia pour un déjeuner de fiançailles qui bien sûr tourne à la catastrophe.

Cette dimension féerique range le film à côté d’Amélie Poulain, qui offrait au spectateur un moment feel-good dans un Paris fantasmé (le vieux Paris, le même que fantasme Woody Allen et tant d’autres). Sauf que la Rome du cinéma néoréaliste aux codes duquel il est abondamment emprunté ne fait pas rêver, mais plutôt fuir. Cette Rome-là est en toc, un décor convenu pour une violence omniprésente. Les deux gamins de la famille l’apprennent vite, qui ne vivent que dans la chamaille.

La réalisatrice en actrice : un dédoublement qui semble réussir au cinéma italien. Elle est excellente de composition sans fatalisme, d’énergie et de naïveté, de retenue. C’est bien, car dans un film qui démontre, mieux vaut ne pas en remettre. Par moment, son personnage se superpose à celui d’Elfriede Jelinek, lui assurant une cohérence profonde avec son propos même. Est-ce le résultat de la projection du spectateur ?** Une assimilation fallacieuse ou trop facile ? ou bien serait-ce étudié, une allusion ? ou simplement une heureuse coïncidence ?

 

 

* Sur le film de Paola Cortellesi, C’è ancora domani (2023).

 ** J’ai dû voir le film en version allemande, ce qui a pu jouer un rôle dans cet effet de superposition…

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