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Le surréalisme en peinture: un enchantement?

 

Célèbre par sa collection Hasso Plattner de peintures impressionnistes abondante, le Museum Barberini de Potsdam s’est vu récemment plongé dans l’actualité par le jet de purée sur un de ses fleurons, Les meules de Claude Monet (1890-91).

Tout est rentré « dans l’ordre » à l’issue de cet attentat, à ceci près que le visiteur est dorénavant scruté avec nervosité par les gardiens et qu’il faut s’armer de sourires multiples pour obtenir de conserver sa veste sur les épaules pour traverser les pièces monumentales de ce beau lieu d’exposition.

À côté de ces paysages des campagnes françaises, le « Museum » propose aussi une exposition sur « le surréalisme et la magie : la modernité enchantée » (22 octobre 2022/29 Janvier 2023).

L’intérêt de telles expositions est d’exhiber des œuvres rarement ou jamais vues, tirées de collections privées ou de musées lointain où il est peu probable que l’on soit amené à passer un jour. L’effet d’abondance d’une collection permet aussi de saisir, par les relations qui se font entre les œuvres proposées ensemble à la contemplation, des solidarités cachées et de donner peu à peu un sens à la désignation abstraite qu’elles partagent. La dimension mondiale du surréalisme apparaît pleinement, au-delà des noms attendus, les Ernst, Dalí ou Magritte. Certainement, la présence en nombre de femmes peintres est aussi un attrait de cette exposition : plutôt objet des poètes, dans leurs louanges hyperboliques et néanmoins ambiguës, les voilà directement actrices du mouvement, déployant une subtilité propre : Leonor Fini, Leonora Carrington, Dorothea Tanning, Remedios Varo, Toyen, Key Sage.

 

Malgré l’intérêt toujours essentiel que nous pouvons porter aux écrits d’André Breton, qui demande encore d’être mis à sa place d’écrivain et d’ouvreur, indépendamment de son rôle d’agitateur, de labéliseur ou de Surmoi du mouvement, force est d’avouer qu’il est difficile de provoquer un engouement très sincère pour les œuvres exposées, fussent-elles les plus célébrées. De Magritte, Dalí ou Chirico, que restera-t-il en peinture qu’un académisme un peu – voire extrêmement – prétentieux ? des rébus qui se parent des mirages de la « métaphysique » ou de la « magie » pour intimider, provoquer, intriguer le chaland. L’idée, ou le plus souvent l’énigme, mise en figure afin de susciter l’interrogation du spectateur : une interrogation qui tend à passer bien vite par-dessus la toile.

Parfois cependant nous attend une atmosphère propre : une toile de Max Ernst nous plonge dans une étrange rêverie par l’indécision toute romantique-allemande où il met la séparation du minéral et du végétal, parvenant à introduire une sorte de rugosité d’écorce des forêts sombres dans sa peinture. C’est aussi qu’il travaille non seulement et surtout non prioritairement des motifs, mais qu’il peint d’abord. 


 

Les images qui interpellent le font en recréant des ambiances historiques ou féeriques qui mêlent le connu à l’inouï. Les allusions de Chirico à un perspectivisme renaissant devenu hors de contrôle peuvent lorgner du côté de Piero della Francesca, ce n’est guère où cette peinture parvient à retenir durablement l’attention. Du côté des visions d’enfers, de tentations de Saint-Antoine ou de fontaines de jouvence qui semblent tirées du Moyen âge finissant, un langage plastique propre à exprimer de nouvelles féeries se prête à des variations nouvelles, comme en ces Plaisirs du roi Dagobert de Leonora Carrington (1948).


 

Ces jeux renvoient-ils à des rêves ? C’est peu probable. Elles varient, non sans gratuité, des images du répertoire. Cette peinture s’appuie des langages disponibles et n’est point symbolique. Elle renvoie à des histoires possibles, parfois au simple jeu de l’identification, de la devinette, de la recherche de l’insolite. Ainsi de ces trois téléphonistes du destin de Remedios Varo, qui fut un temps la compagne de Benjamin Péret, qui a inventé des Parques à notre usage.


 

Mais peut-être, mis à part Ernst et son monde onirique si envoûtant, est-ce avec les constructions déroutantes de Kay Sage dont Demain n’est jamais (1955, MoMa), que le visiteur retient une vision qui n’occupe pas seulement son esprit de façon anecdotique. Nous sommes très haut au-dessus d’une possible ville et des échafaudages gratte-cieliques prennent d’assaut les nuages en dessinant l’espace où se déploient les draps du rêve.


 

L’exposition, qui promet de la magie, la victoire contre l’entendement, le retour des mythes, l’occultisme des symboles primitifs, la pierre philosophale et la transformation de l’or du temps, avec quelques inclinations respectueuses devant le tarot ou la barbe de Freud, véhicule surtout la quête désespérée d’une mythologie propre et témoigne d’une naïveté qui envahit, sans les défigurer, jusqu’aux écrits d’André Breton. Peu de ces tableaux persuadent que la peinture était bien la voie à suivre pour concrétiser un tel programme.

 

 

 

Resp. :

Max Ernst, Tag und Nacht (1941-42), The Menil Collection, Houston.

Leonora Carrington, Les distractions du Roi Dagobert (1948), gallerie Guggenheim.

Remedios Varo, Les trois destins (1955), Californie, coll. privée.

Kay Sage, Demain n'est jamais (1955), NY, MoMa.

 

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