vendredi 2 septembre 2016

Rue Humboldt



Rue Humboldt

En 1925, le 18 juin très exactement, peu d’années après la fin de la Grande guerre, la rue Alexandre-de-Humboldt, sise à proximité de l’Observatoire de Paris, fut débaptisée. Elle réunissait une des plus anciennes rues de Paris, la rue Saint-Jacques, à celle de la Santé, longeant la prison du même nom. Elle s’appelle désormais la rue Jean Dolent, critique d’art (1835-1909) dont il n’est nullement ici question de vouloir diminuer les mérites.


Impasse Longue-Avoine (de la rue de Humboldt). Paris (XIVème arr.), vers 1865. Photographie de Charles Marville (1813-1879). Bibliothèque administrative de la Ville de Paris.
© Charles Marville / BHdV / Roger-Viollet



Alexandre de Humboldt (1769-1859) a été une des grands savants allemands du XIXe siècle, un immense voyageur et découvreur. Il parti jusqu'à Cuba, visita Carthagène, Lima, fit l'ascension du Chimborazo, parcouru le Mexique et l'Amérique du nord... La parution de son Voyage aux régions équinoxiales (1807-1831) entrepris avec Amédée Bonpland marquera l’Europe savante.
Installé en 1798 à Paris, qu’il ne quitta que pour ses voyages américains (1799-1804) jusqu’en 1826, pour continuer d’y retourner fréquemment. Autrement dit, Alexandre de Humboldt est parisien, son milieu intellectuel et savant se trouve à Paris :François Arago, Biot, Gay-Lussac, outre Cuvier, Lamarck, Laplace, Vauquelin, Berthollet, Chaptal et tant d’autres qui composent ensemble une toponymie parisienne d’où il a été sans raison exclu en 1925. C’est en outre, pour une large partie de son œuvre, un écrivain français.
Le 21 décembre 1988, par une sorte de dédommagement peu glorieux, un fragment de rue, l’ancienne BX/19 dans le 19e arrondissement est attribué à Humboldt : 25 m. de long (contre plus 300 auparavant), longée d’immeubles modernes sans caractère, et, symboliquement, en impasse (elle débouche sur le quai de la Marne).

Compte tenu du petit nombre de toponymes allemands dans la Ville de Paris, plutôt présents à travers les noms de bataille napoléoniennes que par les serviteurs de l’esprit, il serait juste de rétablir en ses lieux Alexandre de Humboldt, exemple de l’internationalité des échanges savants avant et malgré les guerres. Rue Goethe, rue Henri Heine, soit. Plus récemment une rue Thomas Mann. C’est bien peu. C’est trop peu pour le parisien d’adoption qu’était Alexandre. Ne pourrait-on pas laisser à son frère, lui aussi longtemps parisien (on lui doit un passionnant Journal parisien des années postrévolutionnaires), la nouvelle rue Humboldt, et restituer la sienne à Alexandre ?
En mai 2014 eut lieu à l’Observatoire de Paris une magnifique exposition consacrée aux « Frères Humboldt et l’Europe de l’esprit » (les curateurs étaient Bénédicte Savoy et David Blankenstein), soutenue par les meilleures institutions savantes de la capitale. C’était un plaisir particulier que de les revoir dans leurs lieux naturels. Ne pourrait-on pas pérenniser le geste ?

2 commentaires:

  1. Merci à Christian Helmreich de ses précisions:

    1. Humboldt membre associé de l’Académie des Sciences : Élu correspondant de la 1ère Classe de l'Institut national (section de physique générale) le 16 pluviôse an XII (6 février 1804), associé étranger le 14 mai 1810 (comme il ne pouvait y avoir que 8 associés étrangers, c’était une distinction particulière que d’avoir fait partie du nombre – et Humboldt prenait ses tâches académiques très au sérieux, et avait notamment une certaine influence dans les années 1820-1850 dans les tractations qui précédaient l’élection de nouveaux membres……) Sur l’Académie des sciences, il y a un ouvrage très informatif de Maurice Crosland, Science Under Control: The French Academy of Sciences 1795-1914, Cambridge 2002.
    2. Laquelle Académie a frappé en 1859, à sa mort, une médaille lui donnant le titre d’Aristote des temps modernes
    3. Conversation de Chaptal et de Napoléon lequel voulait expulser Alexandre Humboldt de France :

    « Je me rendis à la soirée de Napoléon aux Tuileries; écrit Chaptal dans ses souvenirs (Mes souvenirs sur Napoléon. 1893, p. 382-384).
    Selon son usage, //383// l'Empereur me prit à part pour causer avec moi.
    « Qu'y a-t-il de nouveau dans les sciences? » me dit-il.
    « – Rien, lui répondis-je, et si M. de Humboldt n'imprimait ses voyages dans l'Amérique méridionale, nous serions dans une stagnation complète. »
    « Ces ouvrages sont donc bien importants, bien importants? » repartit-il.
    « – Ils ne sauraient l'être davantage, ajoutai-je. M. de Humboldt possède toutes les sciences, et lorsqu'il voyage, c'est toute l'Académie des sciences qui marche. On ne peut que s'étonner de ce que, dans trois ans, il a pu recueillir tous les matériaux qu’il met en œuvre à Paris. Et puis, il a adopté notre patrie. Il publie dans notre langue, il emploie nos graveurs, nos dessinateurs, nos imprimeurs. »
    -Ne s'occupe-t-il pas aussi de politique? »
    – Sa réputation l'a lié avec tous les étrangers, qui le recherchent, mais je ne l'ai jamais vu s'entretenir que de sciences. »
    //384//
    « Vous le croyez donc bien nécessaire à la France? »
    « Ce serait un deuil général s'il venait à nous quitter. »

    4. Humboldt une célébrité dans les pays d’Amérique latine (et aux USA) – notamment parce qu’il avait dénoncé les abus du colonialisme espagnol. Chacune des capitales sud-américaines a des places Humboldt, des écoles Humboldt, et la seconde montagne la plus haute du Venezuela a été nommé Pico Humboldt. (la plus haute est le Pico... Bolivar); le courant océanique qui longe les côtés occidentales sud-américaines s’appelle le courant Humboldt.
    Bref : s’il existe un Pic Humboldt, un courant Humboldt, un manchot Humboldt, des places, rues et avenues Humboldt en Amérique du Sud, un comté Humboldt aux États-Unis, pourquoi cet auteur francophone et cosmopolite n’a t-il pas au moins une rue portant son nom à Paris, non loin des rues et avenues portant le nom des grands scientifiques français du XIXe siècle, ses amis : Arago, Delambre, etc

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  2. (suite)
    5. Surnom : le second Colomb (cf. Inscription de l’Université de la Havane sur le socle de la statue de Humboldt, Unter den Linden )
    6. Humboldt un ardent anti-esclavagiste (cf. Essai politique sur l’île de Cuba, 1826). On peut citer aussi sa lettre à Gobineau, des années 1850, dont il rejette poliment la théorie raciale.
    7. Humboldt grand ami de la France, et pourfendeur du nationalisme allemand
    8. Humboldt „victime“ après la première guerre mondiale d’une vision étroitement nationale (nationaliste) qu’il avait voulu, précisément, dépasser.
    9 = Chateaubriand sur Humboldt (1819) :
    « Le Voyage
aux régions équinoxiales du nouveau continent, fait en 1799-1804, est un des plus importants ouvrages qui aient paru depuis longues années. 
Le savoir de M. le baron de Humboldt est prodigieux ; 
mais ce qu'il y a peut-être de plus étonnant encore , c'est le talent avec lequel l'auteur écrit dans une langue qui n'est pas sa langue maternelle. Il a peint avec une vérité frappante les scènes de la nature américaine. On croit voguer avec lui sur les fleuves, se perdre avec lui dans la profondeur de ces bois qui n'ont d'autres limites que les rivages de l'Océan et la chaîne des Cordillères; il vous fait voir les grands déserts dans tous les accidents de la lumière et de l'ombre , et toujours ses descriptions, se rattachant à un ordre de choses plus élevé , ramènent quelque souvenir de l'homme, ou des réflexions sur la vie : c'est le secret de Virgile.
    Optima quaeque dies miseris mortalibus aevi
    Prima fugit.
    Pour louer dignement ce Voyage, le meilleur moyen serait d'en transcrire les passages ; mais l'ouvrage est si célèbre, la réputation de l'auteur est si universelle, que toute citation devient inutile. »
    (DE QUELQUES OUVRAGES HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES. Octobre 1819, reproduit par exemple dans les Œuvres complètes de M. le vicomte de Chateaubriand, 28 vol., Paris 1826-1831, XXI, p. 406)

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